Radio Philips 2514 Paladin

written by: Laurence Harf — October 9, 2023

Introduction

La littérature scientifique dédiée à la radio et ses usages est abondante. Des premiers bricoleurs qui chevauchaient l’éther à la recherche des précieuses ondes sans frontières jusqu’à l’essor du transistor en écho à l’émancipation de la jeunesse des années 1960 , les nombreuses études éclairent les progrès techniques, les évolutions esthétiques ou les enjeux sociologiques. Nous avons choisi un angle d’approche centré sur l’objet et son histoire « personnelle », afin d’approcher au plus près les différents aspects de sa « vie ». La biographie d’objet, théorisée dans le cadre des études sur la culture matérielle (Material Culture Studies) permet en effet de s’intéresser en même temps à la conception, à la fabrication, à la commercialisation, à l’utilisation et à l’obsolescence de l’objet radio. Dans le travail qui suit, je me concentrerai également sur l’aspect relationnel d’une radio en particulier avec un utilisateur en particulier : les deux protagonistes de cet essai sont la radio Philips 2514, un modèle datant de 1928, et Albert Wolter, collectionneur passionné de radios et d’objets produisant du son depuis l’adolescence, dont la vaste collection est à la base du projet de la Maison du Son à Lamadeleine.

La source principale de mon travail est Monsieur Wolter lui-même, que j’ai rencontré chez lui pour un entretien de près de deux heures. La rencontre a eu lieu en avril 2023. Grâce à son témoignage, mais aussi à de nombreuses sources externes, majoritairement digitales et produites par d’autres passionnés de radios anciennes, je vais dans les pages qui suivent faire revivre près de cent ans de la « vie » d’une radio emblématique.

Une rencontre déterminante

Ils m’attendent déjà. Je suis bien à l’heure, pourtant. Ils ont profité de me venue pour se réunir un peu avant mon arrivée, juste tous les deux, comme ils le font régulièrement depuis plus d’un demi-siècle. Leur connivence flotte dans l’air du début d’après-midi, pleine de pudeur, au milieu de la maison où des radios trônent sur le haut de chaque armoire, encombrent l’intérieur du moindre placard et ornent jusqu’à la plus petite table basse, de la cave au grenier.
Un peu perturbé par mon irruption dans ce moment d’intimité, Albert Wolter lance brusquement « la voilà ! » en pointant du doigt la radio Philips modèle 2514 exposée sur la table… nue ! L’homme n’a pas pu s’empêcher d’ôter le boitier de sa radio, comme il le fait certainement avec tous les appareils de sa collection. Ce qui intéresse Albert Wolter depuis toujours, c’est la technique, les pièces à changer, les réglages à perfectionner… bien plus que l’esthétique d’un boitier aussi joli soit-il.

Vue d'ensemble de l'intérieur de la radio Philips 2514

Mais revenons à la star du jour : la première radio Philips sans batterie, avec alimentation incorporée pour le secteur alternatif . Avec prise électrique, pour faire simple. La première radio de valeur de la collection d’Albert Wolter, surtout. « L’homme s’est presque excusé de me la donner » raconte-t-il dans le désordre, les yeux rivés sur l’objet du désir. C’était au milieu des années 1960, à Differdange. Le jeune Albert avait 14 ans et il habitait avec ses parents et sa grande sœur au-dessus du bureau de poste. Pour aller à l’école, il passait devant la quincaillerie de Monsieur Bommertz, rue Michel-Rodange. L’adolescent était connu de ses voisins pour rafistoler des radios et se passionner pour tout ce qui concernait l’électricité. « Le voisin m’a dit : j’ai une vieille radio pour toi, celle que j’ai reçu pour mon mariage, en 1931. Je ne sais pas très bien ce que tu pourras en faire. Elle est en haut », se souvient Albert 60 ans plus tard. « Remisée, au placard, voilà où j’étais ! » chevrote soudain une petite voix, presque imperceptible au départ puis de plus en plus claire. « Excusez le grésillement, il faut deux à trois minutes pour que mes tubes à vide se réchauffent. » La voix vient manifestement de la radio ! Mais ça n’étonne que moi. « Monsieur Bommertz et sa femme avaient acheté le modèle plus récent, une Philips de 1949, et m’avait oubliée dans cette grande maison. Pourtant, vous auriez dû me voir dans les années 30, j’étais à la pointe de la technologie ! ».

À la pointe de la technologie

La Philips 2514, aussi appelée Paladin, fut en effet une des premières radios à fonctionner avec une prise. Anton Philips, le propriétaire de la marque hollandaise, rêvait d’un appareil facile à manier, produit en grande quantité et vendu à un prix abordable.
« C’est comme ça que je suis née » exulte la radio à côté de moi. Enfin, abordable, pas pour tout le monde. Pendant que nous discutons, Albert Wolter a sorti un catalogue de 1931 soigneusement rangé dans une chemise en papier.

Catalogue de 1931

Selon l’annonce, pour « la combinaison standard Philips, pour courant alternatif 110-130 ou 220 Volts » l’appareil récepteur 2514 (pour alternatif) était facturé 2.600 francs. Auxquels s’ajoutaient 750 francs pour le « Haut Charmeur » 2007 et 80 francs pour la Sûreté d’Antenne 4382. Au total, antenne non comprise, il fallait débourser 3.430 francs à l’époque, soit la moitié du salaire de base annuel d’un simple ouvrier des chemins de fer dans ces années-là . « Je vais vous montrer comment ça marche » intervient Albert Wolter, qui s’est déjà saisi des deux mollettes pour régler le sélecteur primaire et le sélecteur secondaire. Les cadrans, qui ressemblent étrangement au mètre à coudre de ma grand-mère, sont des repères numériques et indiquent les ondes en mètres. Il faut du doigté pour doser la réaction et se caler sur la bonne station de radio. « Avec le temps, on sait qu’il faut régler une mollette sur 120 et l’autre sur 110 pour écouter Radio Luxembourg » crâne-t-il. Ado, il notait toutes les fréquences dans un cahier d’écolier. Pour que le son soit plus fort et plus précis, l’expert actionne un rétrocouplage qui fait tourner une drôle de roue à l’intérieur du boitier.

Plan original de la radio Philips 2514

Un boitier par ailleurs bien rempli, entre les sélecteurs, les câbles et les lampes ou tubes à vide, tous marqués d’un trait de peinture jaune. « C’était ma signature », s’amuse aujourd’hui Albert Wolter, « je marquais ainsi tous mes tubes ».
Le haut-parleur – ou le « Haut Charmeur » – fonctionne grâce à un système électro-magnétique. Un cône de papier fait office de membrane, qu’une bobine mobile fait vibrer. Le long du fil d’alimentation, un rotacteur permet de varier l’impédance sur trois positions . « Quand j’ai vu cette radio, une pièce ancienne, de collection, j’ai compris que c’était quelque chose de spécial. Elle était si belle à regarder, il ne fallait pas l’abîmer. À l’époque, je possédais trois ou quatre appareils, tous donnés par des voisins ou des proches. Vous savez, quand on avait une vieille radio, on ne pouvait pas le jeter aux déchets encombrants. Alors on la réparait, on bricolait », se souvient l’homme aujourd’hui.

Albert bricolait depuis 1962 précisément. Depuis que son père avait accepté de lui offrir le kit d’expérimentation Kosmos Radiomann, en échange de sa réussite à l’examen d’entrée au Lycée de Garçons d’Esch-sur-Alzette. <figcaption>Boite de jeu Radioman avec son mode d’emploi. Collection Albert Wolter</figcaption>

Tous les jours, après les cours, il courrait au grenier, dans sa mansarde, pour analyser les plans des radios, changer les pièces défectueuses et identifier ses tubes d’un trait de peinture jaune qui exprimait toute sa fierté. À chaque fois qu’il récupérait un appareil à réparer, le rituel était le même : il ouvrait le boitier. L’adolescent était impressionné par la technique bien plus que par l’esthétique ou le prestige de ses radios. L’esthétique est pourtant une caractéristique importante du Paladin et du de son Haut-Charmeur.

Design industriel haut de gamme

« Parlons-en de mon apparence ! » s’énerve le radio. « Poêle à frire, cuvette, plat à barbe, soucoupe volante, crêpe… j’en ai entendu des surnoms pour mon haut-parleur. En tant que récepteur aussi. Mon étui sombre et sobre a été rapidement comparé à un cercueil. Ce qui ne m’empêche pas d’avoir de la gueule », s’autocongratule Paladin. Ce design « austère » est singé Louis Christian Kalff . Le designer néerlandais, née en 1897, entre chez Philips en 1925 au culot, en avançant que les publicités du fabricant d’ampoules en passe de se positionner sur le marché mondial des radios sont ringardes. Un an plus tard, il est en charge des campagnes publicitaires de la marque. Kalff dessine aussi le logo aux étoiles, des stands d’exposition, des lampes et des radios pour Philips. À partir de 1929, il dirige le Lichtadviesbureau (bureau d’études en éclairages). Son plus grand succès est la lampe de table Z. Pour nos deux protagonistes, sa plus belle réussite est bien sûr le Paladin et son haut-parleur emblématique en Philite, sorte de résine de bakélite propre à la marque hollandaise. Du point de vue du design, tout oppose le récepteur et son haut-parleur : autant le premier est minimaliste et fonctionnel, entouré de métal recouvert de faux cuir, angles saillants et couleur noire, autant le second, inspiré des anciens pavillons de gramophones, est moderne, décoratif, artistique et même glamour avec ses reflets dorés . Niveau design on est loin des radios d’amateurs du début et de leurs composants vissés de bric et de broc sur un planche. Ici, tous les éléments – sauf le haut-parleur – sont contenus dans une seule unité, sur la plus petite surface possible et avec une apparence moderne et fonctionnelle. La radio, premier fournisseur électronique domestique d’informations et de divertissements, trouve sa place dans les ménages et la matière plastique, de plus en plus utilisée dans les années 1930, permet des audaces esthétiques.

Toujours réglée sur Radio Luxembourg

Depuis leur rencontre en 1964, la Philips 2514 n’a plus quitté Albert. Toujours présente sur l’établi, toujours réglée sur Radio Luxembourg, puis RTL, longues ondes. Passionné, mais obéissant, le jeune Albert respectait les consignes familiales : pas de radio pendant les devoirs et pas après 22 heures. Du moins officiellement. Car ce que la mère d’Albert ignorait, c’est que les modèles les plus anciens de la collection grandissante de son fils fonctionnaient très bien avec des écouteurs… Sur leur grande radio Saba dans le salon, les parents Wolter étaient plutôt branchés sur France Musique ou, plus tard, sur les émissions en luxembourgeois d’RTL ondes moyennes en soirée. « On n’écoutait pas la même radio, cela aurait créé des conflits ! Tant pour le choix des programmes, que pour le volume d’écoute » estime Albert. Radio Luxembourg fait de l’ado un excellent élève en français, à force d’écouter toute la journée les émissions en français. Un élève bien informé aussi, avec les célèbres flashs d’information de Radio Luxembourg, non soumis à la surveillance des autorités françaises, contrairement à l’ORTF, et qui profitait d’une grosse rédaction de journalistes. « Le lendemain, dans la cour de récréation au lycée, on parlait des nouvelles internationales » se souvient l’homme encore aujourd’hui. Radio Luxembourg, dans les années soixante, c’est le top horaire composé par Michel Legrand , diffusé la première fois le 1er octobre 1964 , les jeux de Zappy Max avec le Quitte ou double et le Crochet radiophonique sous le chapiteau géant du Radio Circus , les chroniques politiques et les Dernières nouvelles de demain (1949-1967) de Geneviève Tabouis . Plus tard s’ajouteront la “Valise RTL” , jeu mythique créé en 1974, inspiré des Américains et longtemps animée par André Torrent, mais aussi Michel Drucker, Fabrice, à partir des années 80, ou Laurent Boyer dans les années 2000. Le principe est simple : l’animateur du jeu commence par annoncer à l’antenne le montant supposé être contenu dans la fameuse valise. Après quoi, un numéro de téléphone est tiré au sort dans l’annuaire français – plus tard, les candidats devront s’inscrire –, puis le candidat sélectionné est appelé en direct et doit citer le montant exact de la valise pour gagner la somme annoncée . À partir de 1972, les soirées seront animées l’émission Les routiers sont sympas de Max Meynier, de 21 h à minuit, émission qui deviendra de 1983 jusqu’à 1986 Fréquence Max . De 1967 à 1982, Ménie Grégoire anime la tranche de programme suivante, avec une émission d’écoute et de parole intitulée Allô Ménie. Les auditeurs, de façon anonyme, lui téléphonent pour avoir des réponses à leurs questions sur la famille, le couple puis, au fil des années, sur leur sexualité. Son émission a contribué à vulgariser la psychanalyse et à « démythifier » la sexualité. L’émission préférée d’Albert Wolter voit le jour le 1er avril 1977 : les Grosses Têtes. Le programme, annoncé comme humoristique et culturel, réunit un petit groupe d’invités, choisis pour leur humour et leur sens de la répartie. L’animateur – Philippe Bouvard fut l’animateur emblématique des Grosses Têtes de 1977 à 2000 puis de 2001 à 2014 – leur pose des questions de culture générale. Les questions sont proposées par des auditeurs, qui gagnent de l’argent si les « sociétaires » ne trouvent pas la réponse. Les assistants de l’émission soumettent aussi des questions, en inventant des noms fantaisistes d’auditeurs virtuels, tels que Mme Bellepaire de Loches, Mme Bellepaire de Gand, M. Sapan d’Houilles, M. Legrand d’Angers, M. Givet de Spa, Mme Boileau d’Évian, M. Epert du Mans, M. Jules d’Orange, Mme Pleine de Grasse, etc. « Qu’est-ce qu’on a pu rigoler ensemble ! » chantonne la radio, un peu nostalgique. « Et on rigole encore aujourd’hui » complète Albert Wolter.

Une vie partagée

Albert et sa radio ne se sont quittés que brièvement, le temps des études à l’université. Quand il part à Aix-la-Chapelle pour devenir ingénieur en électrotechnique, le jeune homme laisse derrière lui ses 15 appareils de collection et n’emporte qu’un tourne-disque. Neuf semestres plus tard, il revient au Luxembourg pour travailler à la poste, dans les télécommunications. Il se découvre une seconde passion, le Train 1900. Mais n’oublie pas pour autant sa collection de radios, régulièrement alimentée par des achats ou des dons de proches. Dans deux ou trois ans, sa collection déménagera à quelques rues de chez lui, dans la future Maison du son de Lamadeleine. La radio Philips 2514 sera du voyage. Enfin, pas tout à fait : pour ne pas se séparer de l’originale, Albert Wolter a pris soin d’acheter un autre appareil du même modèle. Son Paladin de cœur, reconnaissable a un petit accroc sur le boitier, témoin d’une chute incontrôlée, restera auprès de lui. Toujours branché sur RTL ?

Sources*

Philips 2514

Blog d’Olga Novel et Michel Terrier http://www.michelterrier.fr/radiocol/detail2009/philips-2514.htm Consulté le 4 novembre 2023

CPF Radio – site d’entraide entre bricoleurs passionnés de radios TSF et vieilles TV http://www.cfp-radio.com/restaurations/philips-2514/philips-2514-01.html Consulté le 4 novembre 2023

Radiomuseum - Musée virtuel de la radio - Catalogue de modèles de TSF etc. et forum https://www.radiomuseum.org/r/philips_2514_2.html Consulté le 4 novembre 2023

www.schoop.fr – la mémoire de la FM : histoire, sons, logos, publicités, photos. Consulté le 4 novembre 2023

Victoria and Albert Museum https://collections.vam.ac.uk/item/O321100/philips-no-2514-radio-receiver-kalff-louis-christiaan/ Consulté le 4 novembre 2023

Louis Kalff Instituut Eindhoven https://www.louiskalffinstituut.nl/en/louis-c-kalff/ Consulté le 4 novembre 2023

Programmes Radio Luxembourg et RTL

Programmes de Radio Luxembourg (1964-1965 est la seule année non disponible) www.radioscope.fr Consulté le 4 novembre 2023

RadioScope-Le forum - Histoire de Radio Luxembourg et d’RTL https://radioscope.forumactif.com/t1823-histoire-de-radio-luxembourg-et-d-rtl Consulté le 4 novembre 2023

Sources sonores

RTL en 1978-79 une journée á l’écoute avec les animateurs et les indicatifs (10 minutes) https://www.youtube.com/watch?v=dF4cuUdT-lQ Consulté le 4 novembre 2023

Sur la chaîne Youtube Mieuhen RADIOS RETRO : réclames Radio cultes, indicatifs, grands animateurs. Mieuhen a rejoint la plateforme Youtube en 2011 et se présente comme “la chaine de ceux qui écoutaient la TSF, Radio Luxembourg, RTL, Europe N°1…France Inter, Radio Monte-Carlo dans les années 1950 à 1990.”

  • ZAPPY MAX SUR RADIO LUXEMBOURG ET RADIO MONTE CARLO RMC RADIOS RETRO ANNEES 50 à 80 https://www.youtube.com/watch?v=HNd5MOnoeKk Consulté le 4 novembre 2023

  • MAX MEYNIER SUR RTL LES ROUTIERS SONT SYMPAS EN 1979 https://www.youtube.com/watch?v=Gj8OtNmBzuY Consulté le 4 novembre 2023

  • MENIE GREGOIRE SUR RTL ALLO MENIE DE 1967 à 1982 https://www.youtube.com/watch?v=X1CIT_uviKI Consulté le 4 novembre 2023

  • BONJOUR LES AMIS de RADIO LUXEMBOURG MARCHE OFFICIELLE INDICATIF 1955 ANNEES 50 https://www.youtube.com/watch?v=u-HcbNZ0F4U Consulté le 4 novembre 2023

90 ans de RTL : revivez les extraits les plus mythiques de la valise RTL https://www.rtl.fr/culture/medias-people/90-ans-de-rtl-revivez-les-extraits-les-plus-mythiques-de-la-valise-rtl-7900244743 Consulté le 4 novembre 2023

  • Les autorisations pour utiliser les documents en ligne dans la conception de la Maison du son n’ont pas encore été demandées, mais j’ai rassemblé les adresses à contacter, le cas échéant.